L’exposition inaugurale du musée Jean Cocteau collection Séverin Wunderman est consacrée à Jean Sabrier, artiste français né en 1951 et vivant à Bordeaux. Elle présente près de soixante peintures, dessins, photographies, objets et animations vidéo réalisés par l’artiste entre 1975 et 2010
Passionné par les questions de perspective, Jean Sabrier utilise le dessin pour dévoiler la part invisible d’œuvres empruntées à l’histoire de l’art. Soulevant l’étoffe de la représentation, il en donne à voir l’ossature, sous la forme de structures géométriques complexes. Il expose ainsi un nouveau regard sur les histoires peintes, qui sont mises en volume et en mouvement par le biais de pliages, de projections ou de réflexions sur divers objets. Cette pratique du dessin renouvelle un art de l’idée, le disegno des artistes et théoriciens de la Renaissance.
Dès les années 1970, Jean Sabrier commence à s’intéresser au mazzocchio, coiffe traditionnelle florentine que Paolo Uccello représentait dans Le Déluge ou La Bataille de San Romano au Quattrocento. Chez Paolo Uccello, le mazzocchio était parfois juché sur une tête, ou autour d’un cou, parfois encore posé à terre. Le chapeau n’était pas représenté comme tel mais comme un pur corps géométrique, chargé de mystère, faisant écart dans un cycle de peinture narrative. Jean Sabrier utilise dans plusieurs travaux l’effet stéréoscopique de cette coiffe circulaire, composée de 192 facettes. La déformation par le mazzocchio implique une multiplicité de points de fuite qui la rapproche des conditions de la vision humaine. Ainsi, pour Jean Sabrier, le mazzocchio représente un œil.
L’œuvre intitulée Cristal liquide, réalisée en 1982, est constituée d’un mazzocchio fait de 192 facettes de glace collées entre elles par de l’eau et maintenue dans une châsse transparente réfrigérée proche du point triple, c’est-à-dire d’un point proche de zéro degré, où les trois états, solide, liquide et gazeux, sont présents, et qui correspond à la plus grande transparence de la glace. « Bien que l’eau gelée soit un cristal, je considère le mazzocchio de Cristal liquide comme un vitrail. Ce mazzocchio est sublimé par l’évaporation du système qui se recharge du givre pour éclabousser de lumière l’amenuisement. », confie l’artiste. Jean Sabrier utilise à nouveau le mazzocchio dans l’œuvre intitulée Le Mazzocchio catoptrique : sur le quart d’un tore à facettes, réalisé en plâtre et fixé sur deux miroirs ouverts comme les pages d’un livre, à 90 degrés, est reproduit un fragment du Déluge de Paolo Uccello. Le jeu de réflexion des deux miroirs reconstitue la forme complète, en perspective centrale de la structure géométrique.
Les œuvres de Jean Sabrier revendiquent également leur filiation avec celles de Marcel Duchamp. Jean Sabrier pose ainsi le nom de Paolo Uccello, le grand maître de la perspective à côté de celui de Marcel Duchamp, l’inventeur du ready-made. Et, comme la présence dans son œuvre de Paolo Uccello est marquée par l’emploi fréquent du mazzocchio, celle de Marcel Duchamp est marquée par l’emploi de deux autres objets symboliques : l’urinoir et la broyeuse de chocolat. Ainsi, l’œuvre FURINOIR ou Fontaine réfléchissant La Bataille de San Romano devant Guerriers de Marsden Hartley est une œuvre vidéo qui présente un urinoir en acier poli, posé sur un socle et sur lequel se réfléchit en continu la Bataille de San Romano de Paolo Uccello. L’urinoir tourne sur lui-même engendrant ainsi une série de déformations optiques du tableau d’Uccello. A l’arrière-plan, le tableau expressionniste de Marsden Hartley est un plan fixe. La musique de Varèse rythme les plans, d’abord éloignés puis de plus en plus proches de l’urinoir devenu miroir.
Les œuvres de l’exposition Jean Sabrier proviennent des collections publiques suivantes : Fonds national d’art contemporain, CAPC Bordeaux, Fonds régional d’art contemporain Aquitaine, Fonds régional d’art contemporain Limousin, Artothèque de Bordeaux, Musée de la Roche sur Yon et de treize collections privées. Le catalogue de l’exposition, publié par les Editions Le Bleu du Ciel, est conçu par l’artiste autour des textes de Célia Bernasconi, Bernard Noël et Jean-Louis Schefer.